Thierry Arcaix

Communication, culture et patrimoine

Janlux Valéro

  1. Faire les commissions en 1956
  2. Jean 1, dit Janlux
  3. Jean 2 : en selle !

Figuerolles en 1956.

Les Jean qui font l’événement.

L’année 1956 voit l’arrivée de deux nouveaux commerçants dans le bas du faubourg Figuerolles. C’est à travers les témoignages de ces deux acteurs que nous allons revivre les années 50 et 60 du quartier mythique.

1- Faire les commissions en 1956.

Tout d’abord,  le tour des magasins. Mais il faut bien chercher, retrouver les noms, ce n’est pas simple. On décide de commencer par le faubourg, à partir de la banque populaire, et de remonter un peu le trottoir, jusqu’à la rue du père Bonnet à gauche et jusqu’à la rue de Metz à droite puis de faire , le tour du plan.

bar A la place de la banque, le bar du Square qui faisait coin, puis, l’épicerie de Madame Rossignol, là où se trouve aujourd'hui la laverie. Ensuite à la place du magasin de cycles, une remise qui servait de dépôt à un revendeur de machines à laver et de frigos. Ensuite, la bonneterie Janlux et deux boulangeries : Mme Pascal et M. Marty-Tiquet à la suite. Enfin une boucherie tenue par la célèbre Marie Tiquet à l’angle de la rue du père Bonnet. Revenons en face de la banque, sur le trottoir opposé. Là, au coin de la rue Haguenot, c’est le marchand de vin Baudrand, avec une terrible marche à descendre dont les deux témoins se souviennent. Puis, la boucherie Figuet et un marchand réparateur de postes de radio et télévision M. Budka et son employé M. Simon. C’est au tour du magasin de cycles Valéro et ses mobylettes, puis un économat au coin de la rue de Lavérune (du Père Fabre aujourd’hui). L’autre coin(le Repalatin) est occupé par la mercière Mme Bages, dont le mari tenait un magasin de cycles aux abattoirs. Elle vendait des bonbons, des pétards et de la petite mercerie. Ensuite , Martin, le coiffeur, juste avant l’horloger Jaoul. Suivait un droguiste, M. Tarral, peintre en bâtiment, et enfin, l’épicier Delon, avec ses sacs en papier et son huile au détail, juste avant la rue de Metz. Retournons place Salengro et traversons la rue Haguenot après l’épicerie Baudrand. Tout d’abord, une droguerie tenue par Mme Saint Grégoire, suivie de Tony l’épicier (M. Luna), de la boulangerie Delmas, de la célèbre pharmacie Luiggi, du bar Renouvier, d’un Bon Lait (crêmerie-épicerie) du café Mamette, du magasin de M. Blesa, qui vendait chaussures, chapeaux et vêtements, et enfin du boucher Alfred, au coin. On traverse et on va au bureau de tabac, tenu par M. Lesburguéres. Juste après, le salon de coiffure Dominique fait le coin de la rue Daru. On traverse et on arrive au magasin Coop, l’épicerie tenue par Mme Ristori, suivie d’un traiteur, La Toque. De l’autre côté de la rue Palissade, une droguerie dont on a oublié le nom (aidez-nous).

Retour

Jean et Jean, rive droite et rive gauche.

Repartons vers le faubourg, en montant vers la cité Gély. On va dire qu’il y a la rive droite et la rive gauche. Là, en 1956 et jusqu’en 1969, deux magasins dont les propriétaires se prénomment Jean, se font face jusqu’à ce que l’un change de côté et passe à gauche (l’effet de mai 68 ?). Il s’agit du magasin de cycles Valéro et de la mercerie bonneterie Janlux en face.

2- Jean I, dit Janlux.

janluxEn 1956, Janlux prend la suite d’un épicier ambulant qui vendait entre autre sur place de la bonneterie, M. Caïfa. Ce dernier était aussi grossiste en épicerie et confiserie au bas de la rue de Metz.

Janlux : « C’était un quartier ouvrier, il fallait y vendre de la marchandise bon marché, mon épouse s’y connaissait bien, elle avait déjà travaillé dans le textile à Béziers. Il y avait beaucoup de familles nombreuses, avec 4 à 5 enfants en moyenne. On travaillait beaucoup avec un fournisseur qui a disparu aujourd’hui, Sermo. J’organisais des ventes réclames avec de la publicité, des prospectus, des slogans.  Je faisais paraître des annonces dans le journal « La Maisonnée » du patronage du père Blanc et dans « La Marseillaise » qui était très lue à l’époque dans le quartier. Je faisais gagner des jeux à des tombolas, j’organisais des ventes réclames, je délivrais des cartes de fidélité.Mes slogans, à l'époque :: Janlux écrase les prix, ou encore : Plus fort que Spoutnik, c’était l’époque…En 1970, je me suis occupé de  l’organisation de la quinzaine commerciale du quartier, et j’ai fait venir Guy Lux, Roger Louis et Simone Garnier. Madame Simone Garnier n’avait pas du tout aimé la Cité Gély. On avait installé des hauts parleurs dans les rues mais on n’avait pas beaucoup de disques et on a surtout passé  "Etoile des Neiges". Le Père Blanc, qui détestait cette chanson, était furieux après moi…

maméCe qui se vendait le plus, à ce moment là, c'étaient es articles courants, des chaussettes, des bas, des chemises, des pulls, de la petite lingerie. A la rentrée des classes, des blouses d’écolier noires et grises. Au mois de juin, c’était le trousseau pour les colonies qu’organisait le Père Blanc à Prévenchères. Parfois, on venait dans l’urgence nous acheter un pyjama ou une chemise de nuit pour partir à l’hôpital . J’ai vendu la bonneterie en 1976. A ce moment, c’était plus difficile. Il y avait l’essor des supermarchés et beaucoup de familles étaient parties s’installer à La PailladeLe commerce, ce n’est pas toujours marrant, alors, pour jouer, on avait inventé des mots qu’on disait aux clients et qu’ils s’étaient appropriés. Par exemple, un article soldé, c’était du rafaton, ou bien il avait été rafatomisé. Parfois, il était Daugareilisé, traitement mystérieux qui le rendait très résistant (mon concurrent du haut du faubourg s’appelait Daugareil).

Un client pas malin ou casse pieds était surnommé un tannecke, et un objet non identifié un caquelon. Alors parfois, quelqu’un venait nous demander si on avait encore du rafaton. On avait aussi un cri de guerre avec mon frère quand il y avait beaucoup de monde, qu’on avait tiré d’un feuilleton. On s’appelait en criant : Pense à Maria ! »

Retour

Maintenant, traversons la rue. Le deuxième Jean nous attend avec sa clef à molette et ses démonte pneus.

 3- Jean II : en selle !

valeroJean Valéro : -«  En 1956, je travaillais chez un grossiste en cycles, rue Jules Ferry, quand j’ai appris que ce magasin était mis en vente par son propriétaire, M. Vic. Le soir même, j’étais chez lui et on convenait d’un accord : comme je n’avais pas d’argent, il me le laissait en gérance libre, avec promesse de vente : au bout de six mois, j’ai pu le payer, car le prix n’était pas très élevé ; il n’y avait pas de stock ni d’outillage. Avant M.Vic, c’était M. Crespin, mais je ne sais pas exactement quand il avait ouvert. M. Vic m’a vendu ce magasin parce qu’il en montait un autre rue de la Méditerranée. 

Mais ce local était tout petit.  Tous les matins, on sortait tous les cyclos dans la rue pour pouvoir travailler ; il fallait respirer les gaz d’échappement des moteurs qu’on réglait à l’intérieur. Mais on avait l’habitude des petits espaces : ma femme et moi, on habitait avec nos deux enfants (on en a eu un troisième plus tard) dans un deux pièces au chemin de Castelnau. En 1969, on a pu acheter la remise d’en face à M. Burlat, le propriétaire, et on y a  installé le magasin qui est toujours là. .

Il était aussi très difficile de se loger à ce moment là. On nous avait même proposé un appartement sans fenêtres ! Nous nous étions inscrits sur la liste pour avoir un logement dans les Cités d’Urgence de l’Abbé Pierre. Il y en avait deux à Montpellier, une à Boutonnet, et une au terrain Gély. Mais on n’a pas pu en avoir. Et pourtant, on avait de l’argent pour payer, mais il n’y avait rien. Alors on a acheté un terrain à la Chamberte en 1958 et on a construit notre maison, le dimanche, avec des copains. » Yvonne Valéro (qui consulte un cahier manuscrit) : - « Le terrain faisait 450 m2 et on l’a payé 816 400 anciens francs. J’ai tout noté ce qu’on a acheté.  Voyez : le sable, le ciment, les pierres. Par exemple, une brouette coûtait 7000 anciens francs en 1958… Pendant 11 ans, on n’a pas pris un jour de congé. Et on a eu la maison avant la voiture, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.»

« Le secteur le plus important à l’époque, c’était le cyclomoteur, la réparation, d’abord, puis de plus en plus, la vente. C’étaient des mobylettes, des solex, des vespas, et même des vélos équipés d’un petit moteur vap. J’ai vendu jusqu’à 400 cyclomoteurs par an.  Tout le monde roulait en cyclomoteur : les ouvriers, les étudiants, les femmes en solex ou en cady. Il y en avait partout. Mais ça c’est arrêté en 1972 , surtout à cause d’une mesure qui a accéléré le mouvement : c’était le port obligatoire du casque. Les gens s’en sont trouvé embarrassé, les femmes en solex n’ont pas voulu se décoiffer, et tout le monde s’est rué sur l’automobile.. Les politiques sont allés un peu vite, plutôt que de réfléchir à aménager les voies pour les cyclomoteurs ou de rendre le casque obligatoire seulement pour les modèles puissants. Mais bon. On voit les résultats aujourd’hui sur notre environnement urbain ».

Je ne crois pas que le deux-roues puisse reprendre aujourd'hui, rien n’est fait pour. Il faudrait que les gens l'imposent en l’utilisant, les politiques seraient bien forcés de suivre. Moi, je ne me déplace qu’en vélo, pour aller sur la place de la Comédie, pour chercher le pain ou acheter mon vin à Celleneuve. Mais ça ne s’est pas arrêté brutalement. J’avais deux ouvriers qui réparaient des mobylettes jusqu’en 1990, puis le vélo a enchaîné ; ce fut la grande époque du cyclotourisme. On fabriquait des vélos adaptés aux gens, on soudait les cadres, on les peignait. Avec mon épouse, on participait aux randonnées en tandem, ce qui nous faisait connaître. On est membres du club Cyclotouriste Montpelliérain (CTM) depuis 1950. Tous les dimanches, on partait en groupe de 40 personnes à peu près pour 120 km en moyenne, vers les Cévennes surtout, et l’hiver en garrigue. On n’a pas arrêté : dimanche dernier 80 km, dimanche prochain  l’Aigoual, et on a 77 ans tous les deux…

Aujourd’hui, c’est surtout le VTT qui est en vogue, et ce qu’on appelle le « cyclosportif », moins familial et surtout masculin, dans l’esprit du tour de France. Tout a changé, avant on réparait facilement, plus aujourd'hui. Par exemple, : je remets en état le vélo de mon médecin, mais je ne peux pas remettre sa jante en état ;  : il me faut lui changer la roue. J’ai vendu mon magasin en 1990. Je n’ai pas fait fortune, mais j’ai bien travaillé, avec mon épouse, dans le faubourg. Pour nous, le vélo est une passion, et on a eu la chance de pouvoir y consacrer notre vie. »

Pour conclure, un peu de nostalgie en deux roues à moteur avec cet excellent site Internet : cliquer ici.

Retour haut de page

 

 

 

 

 

mél : thierry.arcaix@wanadoo.fr ; tél : 06 23 10 62 21